La gauche plurielle (1997-2002). Quelle place dans l’histoire politique de la Ve République et de la gauche ?

Thibault Tellier (Sciences Po Rennes), Pierre-Emmanuel Guigo (UPEC) en partenariat avec la Fondation Jean Jaurès.

Lieu : Paris
Date : octobre 2022

Avril 2022 sera l’occasion de nombreux discours pour le vingtième anniversaire du 21 avril 2002. Le séisme politique que fut la disqualification de Lionel Jospin et la présence au second tour de l’élection présidentielle du candidat d’extrême-droite, Jean-Marie Le Pen, est encore dans toutes les mémoires. Ce moment de notre histoire politique contemporaine porte en lui un paradoxe qui pourrait servir de fil rouge au colloque : comment l’un des gouvernements reconnus comme l’un des plus compétents de la Ve République a-t-il pu connaître une issue aussi tragique pour lui-même mais pour la gauche plus largement ? Beaucoup de personnalités politiques continuent pourtant à s’y référer pour marquer le début de leur engagement politique, comme leurs aînés parlaient de 1974, de 1981 ou encore des grèves étudiantes de 1986. D’autres y voient plutôt les premiers signes du délitement de la gauche telle qu’elle existait depuis le début des années 1970. Cette fin apocalyptique et surprenante, qualifiée par Lionel Jospin lui-même de « coup de tonnerre », si l’on se réfère aux sondages qui ont précédé le premier tour, a eu tendance à effacer la trace de cette expérience importante de la gauche au pouvoir que fut le gouvernement de Lionel Jospin. La surprise de 2002 répond en quelque sorte à la surprise que fut la victoire de cette gauche unifiée en peu de temps, dans une campagne précipitée par la dissolution de 1997. La situation chaotique de 1993 laissait pourtant penser que la gauche aurait besoin de longues années pour panser ses blessures et refaire ses liens.

Comprendre comment s’unissent ces forces de gauche en dépit de leur diversité et dans une situation moins hégémonique pour le PS qu’en 1981 sera un des objectifs de ce colloque. Le cheminement qui amène à la naissance de la gauche plurielle fera l’objet de la première partie. Comment est-elle née ? Est-elle plutôt le fruit des circonstances ou plutôt l’aboutissement d’une réflexion concertée entre les différents futurs partenaires ? Sur quels compromis idéologiques l’union s’est-elle faite ? Voici quelques questionnements qui mériteront d’être amplement analysés et débattus en s’inscrivant dans les recherches les plus récentes1.

Les cinq années de Lionel Jospin à Matignon seront aussi l’occasion, dans une seconde partie, de s’interroger sur les relations complexes entre la gauche et l’exercice du pouvoir. Alain Bergounioux et Gérard Grunberg ont ainsi montré la tension à laquelle est confrontée le PS dans son exercice du pouvoir2. En se maintenant cinq ans au pouvoir, en dépit d’une cohabitation, la gauche prouve une nouvelle fois, après l’expérience mitterrandiste qu’elle est en capacité de gouverner. Pour certains partis politiques, comme les Verts, c’est en revanche une première expérience au pouvoir. Pour le Parti communiste c’est le début d’une nouvelle ère, après les décennies Marchais. Mais cette longévité relative (une législature) ne se fait pas sans tensions entre les partis qui forment la coalition comme en témoigne la multiplicité des candidatures à l’élection présidentielle de 2002, contribuant au final à l’échec de Lionel Jospin. De ce point de vue, les témoignages des acteurs de l’époque devraient permettre de mieux comprendre en quoi cette législature peut-elle être considérée comme un tournant de la gauche en France.

En matière sociale, le bilan de la gauche plurielle s’avère important avec la création des 35h de travail hebdomadaires, les emplois-jeunes, la CMU, l’AME, la loi SRU. La sécurité, qui sera au cœur de la campagne de 2002 a aussi été un sujet de préoccupation tout au long de ces cinq années avec le travail de Jean-Pierre Chevènement, mais aussi celui de Daniel Vaillant sur la fin de la période. Nous chercherons ainsi à comprendre comment ce sont élaborés ces projets, les négociations qui ont abouti à leur naissance. Les cinq années de Lionel Jospin à Matignon confirment aussi l’attention croissante de la gauche pour les enjeux sociétaux et plus particulièrement en termes de reconnaissance identitaire, avec notamment l’adoption de la loi sur le PACS ou la loi Taubira. Pour les droits des femmes, les années Jospin sont importantes en ce qu’elles marquent l’entrée dans une ère plus volontariste avec la mise en œuvre de la parité en politique et du congé paternité afin de mieux répartir le travail familial au sein du couple.

Sur le plan économique, la gauche plurielle a laissé l’image d’un socialisme gestionnaire, n’hésitant pas à privatiser, et à baisser les impôts là où François Mitterrand avait choisi une politique de nationalisations et d’augmentation des prélèvements en 1981. Cette adaptation au marché confirme ainsi le « tournant de la rigueur », le « Bad Godesberg » rampant amorcé en 1983 et inscrit le socialisme français dans la poursuite du marché commun qui aboutit en 2002 à la création de l’euro. Il faut également rappeler le débat qui traverse les années Jospin sur une possible adhésion du parti socialiste français aux thèses portées par Tony Blair. Sa réception par les autres forces de gauche membres de la gauche plurielle n’a toutefois que peu été étudiée.

Dans ces circonstances, il conviendra dans une troisième partie de revenir sur les raisons qui, vingt ans plus tard, peuvent contribuer à nourrir la réflexion sur un moment important de notre histoire politique du second vingtième siècle. Quelle ombre portée pour ces cinq années de la gauche au pouvoir. Doit-on y voir le début d’un délitement des forces de gauche ou au contraire une expérience modèle ?

Si la période s’avère récente pour les historiens, la richesse des sources et la vigueur des témoignages rendent l’entreprise possible. Les travaux les plus récents n’hésitent d’ailleurs plus à approcher les années 1980, voire 1990, que Jean-François Sirinelli décrivait comme les nouveaux polders de l’histoire politique future3.

Les propositions s’inséreront dans trois axes qui seront autant de temps du colloque. D’abord la manière dont se construit la majorité politique avant le scrutin, mais aussi comment elle survit à celui-ci, puis se désagrège à la fin de la période. Comment des partis aussi différents ont réussi à s’unir et à dépasser des clivages profonds ? Comment les écologistes qui se sont inscrits pendant longtemps dans le refus du clivage droite-gauche ont rallié les autres mouvements politiques de l’alliance ? Comment le Parti communiste qui s’est considéré dans les années 1980 comme une victime collatérale de l’Union de la gauche a-t-il jugé nécessaire le retour à cette stratégie ? Enfin comment le Parti socialiste éreinté par une décennie au pouvoir a-t-il réussi à reconstituer ses forces pour unir la gauche et l’emporter ? Les élections locales (régionales de 1998, municipales de 2001) et leurs poids dans les relations au sein de la gauche plurielle pourront aussi être l’objet de discussions. Dans un second axe nous nous intéresserons aux projets de cette gauche plurielle, entre nouvelles avancées sociales et intégrations de revendications sociétales. Les réformes sociales et leurs mises en œuvre seront ainsi analysées en rapport avec la politique économique mise en œuvre qui semble se situer dans la droite ligne de la « rigueur » revendiquée depuis 1983. L’accueil par la base sociale, notamment les classes populaires, de cette politique sociale et économique a été l’objet de nombreuses controverses4 qu’il sera aussi intéressant de rouvrir ici. Comment les médias ont-ils aussi rendu compte de la politique de ce gouvernement, dans un contexte de mutation du paysage médiatique avec l’arrivée timide d’internet et de l’information en continu. La médiatisation de l’insécurité semble particulièrement avoir pesé sur la campagne de l’élection présidentielle de 20025. Enfin, dans un dernier temps de ce programme provisoire, qui laisse aussi la place à d’autres propositions, nous nous interrogerons sur le bilan de cette gauche plurielle. Cet axe pourra ainsi être l’objet d’études sur l’influence internationale de la gauche plurielle. Comment a-t- elle été reçue à l’étranger, alors même que d’autres gouvernements socio-démocrates sont également au pouvoir (Tony Blair, Gerhard Schroeder). À vingt ans de distance il sera aussi intéressant d’interroger la place de cette expérience dans la mémoire des différents partis et acteurs qui y ont participé. S’inscrit-elle à la hauteur des autres expériences symboliques du pouvoir, à l’image du Front Populaire ou du gouvernement Mauroy, ou s’agit-il plutôt d’un épisode que l’on tente de minorer à l’image des dernières années du second septennat de François Mitterrand ?

Les propositions de communication sont à adresser à Thibault Tellier et Pierre-Emmanuel Guigo avant le 30 mars 2022 et ne devront pas excéder 4000 signes.

Thibault.tellier@sciencespo-rennes.fr
Pierreemmanuel.guigo@sciencespo.fr